Pour une « bienveillance efficace » (2/2)
En bref
Dès qu’il est question de difficulté de comportement, il est question d’éducatif. Que l’on s’en défende ou non, j’ai le sentiment qu’il y a toujours dans un recoin cette idée d’une « autorité efficace » qui permettrait de faire cesser les comportements perturbateurs. L’existence de « l’effet maître » renforce cette croyance, ainsi que des formules du type « autorité bienveillante » qui sous-entendent que la seconde doit nécessairement se trouver associée à la première… sous peine de ? Laxisme ? Nous trouvons fréquemment l’idée d’une opposition entre les termes « autorité » et « bienveillance ». La juxtaposition des deux pose alors la bienveillance comme l’enrobage souriant d’une autorité inchangée, la forme du fond dont l’usage permettrait de mieux accepter les règles[1].
Dans les écoles nous renforçons cette idée par nos pratiques et nos discours. Les difficultés de comportement de l’élève untel « sont mal gérées par Mme Unetelle qui est dans sa première année d’exercice », « qui n’est pas assez cadrante » « avec madame Truc il ne bougeait pas pourtant » et autres petites phrases classiques y participent et peuvent suggérer aux enseignants qui subissent des difficultés de comportement qu’ils manquent d’autorité et que ce sont les personnalités qui font la différence. Cet élève qui bouge, il suffirait donc de la « bonne personne » pour le calmer ? Cette élue aurait en main « l’attitude cadrante » que tous savent citer mais qui reste indéfinissable ? Et tout le personnel de l’établissement de venir alors tester si par hasard il ne serait pas celui avec qui la magie opérerait. Cela aurait l’avantage, dans l’affirmative, d’assoir sa réputation : dans les idées reçues les plus communes, nous avons « si les élèves sont persuadés qu’on ne laisse rien passer, ils ne bougent pas ». S’ils bougent c’est qu’on laisse passer, alors ? Je suis toujours un peu songeuse lorsque je vois des situations où chaque adulte va aller tour à tour tenter sa chance pour « raisonner » un élève en crise. Outre le principe de questionner un enfant qui n’est plus en état de penser, et se trouve le plus souvent en détresse, je m’interroge sur cette pratique. Qu’espèrent ces adultes ? Qu’ils finissent par faire acte d’autorité ou non, que changent-ils à la situation d’ensemble ?
Au-delà des définitions proposées par la recherche, le postulat ici est qu’il est possible d’aider les élèves en difficulté de comportement[2], en utilisant la bienveillance tel un outil parmi d’autres. Cette action, définie par des règles précises, prend alors le nom de « bienveillance efficace »[3].
Qu’est-ce que l’éducation bienveillante ?
Une relation soutenante
Les enseignants disent souvent qu’ils ne peuvent être bienveillant avec un élève qui met à mal la classe. Ils expriment ainsi à quel point la relation est difficile et ils ont raison, d’autant que ces élèves trouvent pour nous atteindre nos failles les plus sensibles. Mais en disant ceci, il me semble qu’ils signalent aussi qu’ils n’arrivent pas à être émus ou attirés par cet élève (ce serait d’ailleurs un des buts de ce dernier que de se rendre indésirable, pour être en sécurité psychique[4]…). Ces professionnels indiquent qu’ils n’arrivent pas, finalement, à être gentils. Or être bienveillant, ce n’est pas être gentil. La gentillesse est privée. Les enseignants exprimeraient le fait qu’ils ne sont pas portés à donner d’eux-mêmes dans ce type de relation, et c’est compréhensible. Mais peuvent-ils, pour autant, être bienveillants ?
Personne ne leur demande de faire comme si de rien n’était : il se passe quelque chose, il serait dangereux de feindre l’ignorance. Mais accepter le fait que cet élève n’aura pas la possibilité de sortir seul de l’impasse dans laquelle il se mure, ni la capacité de saisir n’importe quelle main tendue qu’on lui offre… accepter que cet élève ne puisse faire de premier pas, ou en tous cas pas sans une aide précise. Lui offrir d’être aidé quand même, d’être aidé quels que soient ses actes, une aide inconditionnelle, c’est dégager les deux protagonistes de la traditionnelle stratégie du « donnant-donnant »… et là est la « bienveillance efficace ». Rien à voir avec le « tout est permis » ou des félicitations à propos d’un comportement inapproprié. Nous sommes plutôt dans une offre des possibles à l’identique, et un nombre d’essais illimités[5]. Offrir la possibilité de recommencer : n’est-ce pas finalement ce que nous tentons de proposer chaque jour en classe ?
Revenons sur cette stratégie du « donnant-donnant » : nous la pratiquons souvent, que nous en ayons conscience ou pas. C’est l’idée d’attendre de l’autre autant que ce qu’on lui donne, le « je vais attendre qu’il soit plus agréable pour l’être aussi ». Mais cela suppose de l’élève dont je parle ici un premier pas dont il est incapable. Cela nous place également sur le même plan que lui, alors que nous sommes l’adulte responsable, en pleine possession d’un système psychique mature. Lorsque l’on tient des comptes à notre aune, lorsque l’on attend de l’élève qu’il se rachète par un comportement en règle avant de lui redonner des possibles, lorsque l’on rappelle à l’élève ses écarts passés, alors nous confondons bienveillance et répression. Or nous ne pouvons pas laisser la responsabilité de l’échec à l’éduqué. Impossible de dire « il ne veut pas » puis tourner les talons : l’adulte, le pédagogue, le responsable de l’environnement d’apprentissage, c’est nous. Nous devons juste apprendre à détacher cette responsabilité d’une mauvaise conscience qui n’a rien à faire-là. Il s’agit d’une responsabilité positive, celle de réessayer, et ce quelle que soit l’attitude de l’élève. Ne restons pas seuls lorsque nous n’y arrivons pas, mais continuons d’essayer. Il s’agit finalement de partir du postulat que notre aide envers l’élève n’est pas une récompense qu’il lui faudrait mériter par un comportement correct, mais un des éléments de l’action qui va petit à petit le faire parvenir à adopter un comportement souhaitable. Cela peut paraître contre-productif à première vue et pourtant c’est justement lorsque notre élève en difficulté du point de vue de la conduite commence à se comporter de manière incorrecte qu’il a le plus besoin d’une « alliance » avec nous. Son comportement inadapté doit agir comme un signal nous avertissant qu’il a besoin de manière urgente d’une relation positive.
Aider l’élève avec bienveillance c’est lui donner la possibilité d’établir des relations positives : avec l’enseignant, avec ses pairs et avec l’apprentissage. Notre objectif doit être de l’y aider, et de manière adaptée à ses possibilités. Si nous souhaitons qu’il modifie son attitude, et de manière durable, alors il nous faut d’abord travailler sur la manière dont cette triple relation peut être positive aux yeux de l’élève. Car pour bien se comporter, l’élève a besoin de se sentir bien et bien dans le groupe[6].
Une éducation bienveillante en classe ou la « bienveillance efficace »
Cette « éducation bienveillante » peut-elle et doit-elle se décliner en classe ?
Il me semble que « l’éducation bienveillante » concerne la classe, et y compris dans des dispositifs qui en paraissent éloignés, de type tableaux de récompense ou autre[7]. Utilisée telle un outil parmi d’autres, elle devient dans ce cas la « bienveillance efficace ».
Restons sur le versant du pédagogue uniquement. Qu’on aime ou pas les élèves n’est pas la question parait-il, et c’est sans doute vrai. Je dirais surtout que cela ne doit pas faire différer les chances de réussites. Cela dit, certains élèves se rendent plus mal aimables que d’autres, ceux-là même qui nous intéressent ici et qui savent nous pousser à bout – l’expression fait sens. Avec eux, la bienveillance est la seule solution : elle nous désengage de cette relation d’affect qu’ils s’attachent à créer mais qui mène à un cul de sac. Seule issue, être professionnel bienveillant. Cette « bienveillance efficace » du pédagogue, c’est le balisage de l’invisible, le soutient au comportement correct et la décontamination. Les trois sont des gestes professionnels qui s’appliquent « sans états d’âme », ou en tous cas en les détachant de la personnalité et de l’humeur, de l’enseignant comme de l’enseigné. Ce sont des techniques : si elles sont adaptées pour un élève, comme peuvent l’être l’agrandissement du texte ou l’utilisation de la police Arial pour un autre, on applique. Point. Et c’est bien plus facile de n’en faire « que » des techniques pour s’en saisir de manière efficace.
Pour les élèves en difficulté du point de vue du comportement, cette application neutre peut se révéler complexe à mettre en œuvre : nous perdons cet outil quelque part entre agacement et idée qu’il convient d’être sévère. Pour autant, une pratique pédagogique facilitante ne devrait pas être écartée sous prétexte d’un comportement hors la règle de l’élève pour lequel elle est adaptée. Au contraire : nous sommes agacés, et bien plus encore, mais nous ne tombons pas dans les représailles n’est-il pas ? La « bienveillance efficace » c’est aussi cela : accepter que l’élève soit co-acteur de la relation mais que la responsabilité de celle-ci nous revienne. A nous donc de transformer, de décontaminer[8].
Pour conclure
Pour conclure, il me semble qu’une proposition simple et pertinente pourrait être : pratiquer la bienveillance, c’est s’assurer que nos faits et gestes aient un impact positif sur notre interlocuteur. Si l’on adapte cette définition à la relation enseignant-enseigné, cela signifie que l’adulte bienveillant va permettre à son élève de restaurer ou renforcer son estime de lui-même, et également que ses réponses et actions seront empreintes de décontamination. La bienveillance scolaire ou « bienveillance efficace » doit nécessairement contenir cet aspect de la relation.
Il restera à décrypter ce que l’on applique, et comment. A suivre donc.
[1] Voir le premier article de la série « pour une bienveillance efficace » : « Pourquoi pas la bienveillance ? »
[2] La pédagogie bienveillante est adaptée aux élèves en difficulté du point de vue du comportement mais peut être bénéfique à l’ensemble du groupe.
[3] Lorsque l’on évoque la bienveillance, on touche également à la communication non-violente, que l’on abordera dans une autre fiche.
[4] Voir les fiches et articles traitant des relations et de la crise émotionnelle.
[5] La sanction en éducation. Eirck PRAIRAT. Que sais-je. 2011.
[6] Voir les fiches sur l’estime de soi.
[7] Voir les articles « du bon usage du tableau de comportement » qui selon moi participent de cette éducation bienveillante lorsqu’ils sont utilisés correctement.
[8] Je fais référence aux stratégies de décontamination que j’évoque dans d’autres articles et fiches de travail.
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