en bref
Travailler avec des élèves en difficulté de comportement, cela s’apprend. Il ne s’agit pas de « gommer » de simples mouvements d’humeur en rigidifiant une attitude autoritaire. Pas non plus de pratiquer la tolérance minimale. Comme dans toute inclusion, il est nécessaire de proposer des outils adaptés.
Le système de récompense est un de ces outils. Il peut être très pertinent pour certains élèves à besoins éducatifs particuliers. Il est particulièrement intéressant lorsque l’élève a besoin d’une motivation concrète : quand le renforcement social seul ne suffit pas, ou lorsqu’il comme amorce pour entrer dans le comportement correct défini. Il est cependant essentiel de réfléchir aux attendus de mise en place, ainsi qu’aux possibles de l’élève auquel il s’adresse.
Cet outil s’inscrit dans un travail plus global des comportements, dans lequel on détermine lesquels vont être appris à l’élève ou vont faire l’objet d’un soutien. Le « tableau de points » devient alors un des outils possibles de cette aide au comportement positif, s’il est utilisé pour ce qu’il est : un marqueur tangible et mémoriel des réussites. Utilisé ainsi et à ces conditions, nous avons en main un outil simple et qui comporte peu d’inconvénients pour des avantages certains. Encore faut-il veiller à ne pas le rendre contre-productif.
Première partie [1]: un outil pour qui, pour quoi ?
Description de l’outil
On retrouve désormais cet outil de « permis à point » et autres « tableaux de comportement » dans de nombreuses classes. Le plus souvent associés aux règles de vie, ils situent la progression de chacun des élèves face à celles-ci. Moins fréquemment, ils sont détachés du règlement, en apparence au moins, l’élève passant alors d’une case à l’autre au rythme des remarques de l’enseignant.
Le tableau est, le plus souvent, utilisé de deux façons : une utilisation individuelle : chaque fois que l’enseignant souhaite indiquer un manquement ou une réussite de comportement. Et une utilisation collective : sous la forme d’un point commun régulier, en général assorti d’une remise à zéro des « compteurs ».
Quelles qu’en soient les spécificités, il est en général composé de cases « positives » et « négatives », chaque élève étant censé y circuler selon les fluctuations de son comportement. Classiquement, les deux comportements extrêmes (positif et négatif) sont placés de part et d’autre du tableau, avec entre les deux un nombre variable de cases intermédiaires concernant des comportements qui seraient donc moyens. Certains enseignants, peut-être mal à l’aise avec ce modèle, proposent des versions où le comportement positif est placé en position médiane dans le tableau, avec de fait des comportements « superpositifs » d’un côté et des comportements négatifs de l’autre… En apparence plus logiques, puisque les élèves qui se comportent bien d’emblée peuvent aussi y évoluer, ce second modèle de tableau nous dit surtout que le comportement correct est l’attendu de base du milieu scolaire. On trouve également des tableaux uniquement positifs : plus rarement, et pour cause puisque l’idée même d’une fluctuation amène l’idée de niveaux. Pourtant, cet outil pourra avoir une fonction de renforçateur positif efficace à cette condition de ne garder que le correct en mémoire.
Construire un tableau adapté nécessite également de le faire en admettant la logique de l’élève avec lequel on travaille. Or si l’on observe, en classe, le comptage est en général celui-ci : un comportement vaut un ou moins un. Cependant chaque comportement a une valeur propre. De ce fait, il est difficile d’imaginer effectuer des opérations de soustraction. Le travail de promotion de tel acte plutôt que tel autre donne en effet une valeur propre à chaque comportement. Ils ne sont pas interchangeables, et c’est aussi l’intérêt de l’enseignant qui en fait la valeur. Aussi convient-il de soutenir et promouvoir uniquement les comportements positifs, et se garder en tous cas de mélanger correct et incorrect. Autrement dit, un comportement négatif ne peut pas annuler un comportement positif. Il faut, enfin, pouvoir imaginer comment le fait de perdre un comportement positif durement construit et gagné, à cause de ce qui peut sembler être une peccadille, peut rendre fou.
Un outil particulier pour un usage spécifique
Disons-le de suite : tout système de tableau de renforcement, quelles qu’en soient les variantes, est néfaste pour les apprentissages scolaires et relationnels des élèves qui n’ont pas de difficultés majeures. Il s’agit certes d’un outil excellent, mais uniquement pour ceux des élèves pour qui il est adapté, c’est-à-dire qui présentent certains besoins spécifiques, et notamment un besoin de renforcement tangible.
Nul ne conteste l’intérêt des dispositifs collectifs d’aide, et il est souvent plus efficace de travailler l’inclusion, et les inclusions de la classe, à l’aide d’outils collectifs (il est d’ailleurs parfaitement possible de proposer, de temps à autre, des systèmes de renforcement collectif à l’ensemble du groupe). Cependant sous couvert d’égalité, en prétextant notamment des élèves qui pourraient être envieux des compliments réservés à certains, nous voici à proposer ce type de tableau à tout le groupe.
Or pour un élève sans difficulté spécifique, la meilleure motivation reste celle qui est liée à l’exécution même de la tâche. Pire encore, tout système de récompense extérieure amoindrit d’autant la motivation interne[2]. Non seulement la majorité des élèves peut donc se passer de cet outil, mais il lui est même néfaste puisqu’il empêche la construction d’une motivation endogène.
D’autre part, utilisé pour le groupe entier, il soulignera encore davantage les difficultés de celui qu’il est censé aider en proposant au regard du collectif un classement à la stricte image du quotidien, notre élève en difficulté du point de vue du comportement y occupant la dernière place au regard de tous. Ainsi et malgré les réelles bonnes intentions de type : « récompenser aussi ceux qui font bien tout le temps », nous constatons qu’une telle pratique est dommageable à l’élève lambda, puisqu’elle met à mal la motivation intrinsèque et ne fait que refléter des inégalités de comportements sans les modifier. Faire pareil pour tous c’est oublier les principes de différenciation et d’équité, et au final n’aider personne. L’efficacité parfois apparente de l’application à l’ensemble du groupe de cet outil n’est que de surface. Le désavantage s’inscrit dans la durée.
Le tableau de renforcement est donc à utiliser uniquement pour des besoins et uniquement pour des élèves précis[3].
Difficultés d’usage
Deux écueils d’utilisation méritent d’être particulièrement soulignés. Le premier me semble être la charge posée sur l’élève. Le plus souvent en effet, on observe des enseignants qui exhortent leurs élèves perturbateurs à « rester dans le vert » (ou parvenir à y accéder, selon). Cela revient à dire que cet outil est, la plupart du temps, considéré comme un outil d’apprentissage, dans la mesure où les élèves sont sollicités pour modifier eux-mêmes leur comportement et l’amener (ou le maintenir) au niveau souhaité. Grossissons un peu le trait : voici un élève en difficulté au niveau du comportement et à qui nous demandons de trouver en lui-même les ressources internes pour adopter un comportement positif et le maintenir. Ajoutons que cet attendu a parfois été déterminé par rapport aux objectifs de l’enseignant, ou par rapport au comportement correct du reste du groupe, et non en fonction des possibles de l’élève concerné. Terminons en indiquant qu’il revient également dans ce cas à cet élève de lever l’implicite des items et de les traduire en termes de « faire ». Quelle peut-être la réaction de cet élève, lorsqu’on lui rappelle qu’il est censé se conformer à un objectif inaccessible ? Et si on effectue ce rappel sur un moment de tension ?
Le deuxième écueil, mais non le moindre, est le détournement de cet outil en renforçateur négatif : je veux dire l’élève menacé de perdre un point. Souvenons-nous que l’attention renforce le comportement, qu’elle soit positive ou négative. Voici alors le tableau de comportement positif réinventé en outil de coercition, et donc l’assurance presque absolue d’un comportement qui s’enflamme jusqu’à la crise, pour un élève en difficulté sur ce plan.
Je vous ai donné à voir cet élève perturbateur et à qui on propose un tableau de points, dans lequel un comportement positif qui lui demande des efforts parfois extrêmes est équivalent à n’importe lequel de ces comportements négatifs qu’on lui reproche au quotidien. Un élève à qui l’on a fixé des attendus parfois si éloignés de son attitude qu’il peut facilement se sentir rejeté. Un élève qui s’est retrouvé « à l’affiche », épinglé dans un tableau collectif dont la mise à jour quotidienne n’est que le temps de rappel d’une réussite des autres, mais qui lui échappe. Un élève vers qui on agite l’attendu tel un inaccessible hochet lors des moments difficiles. Un élève à qui on demande de décoder des implicites scolaires qui rassemblent tout le groupe sauf lui. Et voici maintenant cet élève menacé de perdre un de ces précieux points, gagnés parfois sans même avoir compris pourquoi, parfois en luttant pour y parvenir. Voilà, nous avons exclu cet élève. Souvent sans même nous en apercevoir, et avec toute notre volonté de l’aider. Que peut faire cet élève à part rejeter le tableau et son initiateur, en bloc et sans retenue ? Fausse question, qui souligne un échec… Pourtant j’affirme que cet outil compte parmi les plus adaptés pour les élèves à besoins éducatifs particuliers. Mais il est précis, et son utilisation ne relève pas d’un simple bon sens, aussi aigu soit-il. Il obéit à des règles simples mais strictes.
Pour conclure
Il faut rappeler, encore et encore, la fonction première de ces « tableaux de points » : forcément individuels pour être adaptés à l’élève vers qui ils s’adressent, ils servent à comptabiliser des comportements positifs prédéterminés : uniquement des comportements positifs, uniquement ceux prédéterminés, vers un élève unique. A l’adulte ensuite de veiller à ne pas mettre son élève en échec face à ce genre d’outil, c’est-à-dire à penser pour lui des objectifs accessibles[4]. Enfin, il est indispensable de les lier à un travail sur l’apprentissage des comportements de type « Petites histoires dirigées© »[5].
Les comportements incorrects doivent également être pointés, il est prudent de le rappeler même si le propos est ici attaché au renforcement positif. Ce sera l’objet d’un travail tout aussi précis que celui-ci, que l’on proposera de manière distincte et en veillant à respecter la règle de la rétroaction positive à minima cinq fois plus importante que la rétroaction positive[6].
Enfin, il est tout à fait possible de travailler en parallèle sur les comportements positifs de groupe avec un outil de mémoire pour la classe du type « arbre des qualités[7] » : les élèves peuvent alors tout au long de la journée chercher à repérer les comportements de pairs qui permettent un gain. On rappellera également l’importance des récompenses-plaisir offertes[8] qui proposent, en outre, l’avantage d’éviter la compétitivité et la comparaison.
[1] Le travail sur les tableaux de comportement comporte trois grandes parties, regroupées sous le même titre générique et dont chaque sous-partie est titrée et numérotée.
[2] Alfie Kohn, Franck Ramus
[3] Vers une gestion éducative de la classe, 2è édition. J. Archambault, R. Chouinard. Gaëtan Morin éditeur. 2003
[4] Voir aussi la partie deux de cet article
[5] Voir l’article sur les « Petites histoires dirigées© » dans l’ouvrage « Problèmes de comportement à l’école, comprendre pour agir » (Chronique Sociale, 2013), ainsi que dans l’article sur le sujet. Voir également la troisième partie de cet article.
[6]Franck Ramus notamment évoque « la règle des cinq pour un ». Elle a été formalisée par Gottman en 1993 dans une étude sur le mariage avant d’être généralisée, notamment dans le domaine de l’entreprise puis de la parentalité.
[7] « L’arbre des qualités » est un travail proposé dans l’ouvrage Problèmes de comportement à l’école, comprendre pour agir. Chevallier Marc, Freymond Ottilie, Gagbé Koffi, Lenfant Tiphaine. Chronique Sociale, 2013.
[8] Vers une gestion éducative de la classe, 2è édition. J. Archambault, R. Chouinard. Gaëtan Morin éditeur. 2003.
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Merci beaucoup pour ces explications très claires et si pertinentes !
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Avec plaisir! Merci de ce retour !
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Bonsoir… Comment le faire comprendre à l’enseignant ? J’ai blessé celle de mon fils en lui donnant l’impression d’un article assez similaire au vôtre… Heureusement je n’ai fait que la blesser… Pas la braquer… Car il est vrai qu’elle a une certaine souplesse avec mon fils…
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Bonjour, j’ai vu vos deux commentaires en même temps et j’ai répondu sous l’autre du coup. Bonne suite à vous.
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Bonjour…
Auriez vous une idée de comment faire une fois que l’on a déjà présenté un article similaire (un peu plus sévère tout de même) et que vous avez blessé la maîtresse qui ne se sent pas du tout concernée? Pour elle cette méthode a fait ses preuves et elle est souple avec les enfants en difficultés… Il n’en reste pas moins que cela active la compétition, les jugements de valeurs et les injustices… Elle a beau être vigilante je le constate au quotidien dans ce que l’on fils le raconte car il a eu dernièrement un regard trop étroit et jugeant sur une camarade d’une autre classe…Trop aquaparante et fatiguante sa maîtresse plutôt que de péter un plomb l’a envoyé dans la petite entrée entre sa classe et celle de mon fils. Elle était donc en vu de la maîtresse de mon fils et ne gênait plus sa classe à elle…
Et mon fils a remarqué que malgré qu’elle est été punie elle continuait de bouger nerveusement et de sourire…
« Maman tu te rends compte elle n’a rien compris!!! Elle se moque de qui à continuer à faire n’importe quoi??? »
Les bras m’en sont tombés… Bien jouer pour un petit tdah de juger ainsi…
On ne m’écoute plus dans cette école pour la partie pédagogique… Heureusement on m’y écoute pour les aménagements d’apprentissage du moment que ça ne touche pas trop à la pédagogie de l’école…
L’association dont je fais parti c’est impossible de faire appelle à eux… J’en suis certaine ils l’ont mise dans le même panier…
Changer d’école inutile mon fils n’y est pas si mal même plutôt bien.
Et puis je ne peux pas m’empêcher de penser à tout les autres qui vont suivrez…
D’avance merci…
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Bonjour, c’est difficile de bien vous répondre parce qu’une situation telle que vous décrivez demanderait une analyse fine et sur mesure d’un certains nombres d’éléments systémiques, et également de la manière de fonctionner de l’enseignante, afin de déterminer d’éventuelles propositions d’aide qui viendraient s’inscrire de manière harmonieuse dans ce qu’elle fait déjà.
Sur votre question de comment revenir sur le sujet du contrat de comportement après une première approche difficile, peut-être faut-il justement trouver d’autres entrées dans un premier temps. Je pense en particulier aux écrits soulignant la compétition comme étant un activateur de violence, mais on peut également piocher dans tout ce qui pointe le renforcement positif.
D’autre part, peut-être est-il possible de faire alliance avec d’autres professionnels (ceux du soin ?) pour évoquer ces sujets lors de la prochaine réunion. L’idéal serait pour l’enseignante de modifier ce qui existe déjà pour le rendre plus fonctionnel je suppose, car repartir de zéro ne semble jamais tentant.
Enfin, essayez vous-même de piocher et de pointer ce qui, dans les aménagements de la classe, est positif (même à minima) afin de privilégier ces sujets avec l’enseignante de votre fils… et votre fils. Pour l’avoir testé, l’alliance visible et mise en avant entre enseignant et parent, même sur des sujets plus ou moins satisfaisants, se révèle à l’usage tout aussi efficace qu’une excellente adaptation, et plus encore dans le cas d’une excellente adaptation mais qui diviserait les protagonistes.
Bon courage, j’espère avoir pu vous aider, ce n’est jamais évident de répondre à l’aveugle ainsi.
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